Notre Présidente d’Honneur, Jeanette Deplace, vient
de nous quitter, Elle avait atteint le bel âge de 106 ans
malgré toutes les vicissitudes et les drames qui ont traversé
sa vie.
Juive et résistante, c’était en quelque sorte la double
peine.
Jusqu’au bout de ses forces elle a témoigné dans les
Etablissements scolaires afin que nul n’oublie. C’était
sa victoire personnelle sur le nazisme.
Les quelques rares fois où j’ai pu la rencontrer, elle me
parlait de son pays d’origine, la Bulgarie, et combien
elle était attachée au passé de son enfance bercée par
le ladino, cette langue quasi disparue, parlée par une
poignée d’anciens issus de l’Empire ottoman.
Les sonorités hispanisantes de cette langue évoquent
l’Espagne du 15ème siècle, l’expulsion des Juifs suite
à l’odieux décret des Rois catholiques et les massacres
de l’Inquisition. Que le ladino soit parlé par les Juifs
de Bulgarie fut pour moi un grand étonnement, car je
croyais qu’ils étaient ashkénazes et parlaient yiddish.
Mme Deplace vient de nous quitter, disais-je et je songeais
avec une certaine amertume, n’avoir pas réalisé
de son vivant, un article consacré à cette communauté
de Bulgarie, qui, pourtant était une communauté
installée depuis des siècles, dans un pays exemplaire
quant à son attitude au cours de la seconde guerre
mondiale.
Il faut savoir que les Juifs bulgares (quelques 50000
avant la guerre) furent entièrement sauvés et que cette
communauté peut être considérée comme ayant été la
seule à se retrouver plus nombreuse après la Shoah,
qu’avant. Dans aucun pays d’Europe on ne trouve une
présence juive aussi ancienne, Caligula, l’Empereur
romain qui régna de 41 à 37 avant notre ère, fait déjà
état d’une présence juive sur ces territoires qui faisaient
partie intégrante de l’Empire romain.
Des ruines d’une monumentale synagogue datant
du 2ème siècle furent mises à jour à Philiopolis
( aujourd’hui Plovdiv).
Des archéologues –historiens découvrirent un décret
de l’Empereur Théodosius, datant de 379, réglementant
les implantations de comptoirs de commerçants
juifs en Illyrie et s’opposant à la destruction de leurs
lieux de culte.
La Bulgarie fut reconnue souveraine en 681, le premier
Empire bulgare accueillit à bras ouverts les juifs
persécutés de l’Empire byzantin, c’étaient des populations
romaniotes. Le second Empire vit arriver
les Juifs de Raguse en Italie. Le tsar Ivan Alexander
se maria avec une juive, Sarah, qui se convertit au
christianisme et prit le nom de Théodora.
Au 14ème siècle une telle union ne choquait pas la
population, les juifs faisant partie du peuple bulgare
depuis plus de 1400 ans. On peut même penser,
qu’aux premiers temps, il existe une grande hésitation
chez les Bulgares entre adoption du judaïsme ou du
christianisme, ces deux religions, ayant, aux yeux du
peuple de fortes similitudes. A tel point qu’au 9ème
siècle, des envoyés de l’Empereur bulgare furent
dépêchés auprès du Pape Nicolas 1er pour savoir s’il
fallait choisir le samedi ou le dimanche comme jour
sacré de la semaine.
Théodora donc, Tsarine juive du 14ème siècle,
convainquit son époux de créer un royaume pour son
fils Shishman que le peuple considère comme juif
malgré la conversion de sa mère. Elle pensait qu’il
pourrait permettre aux Juifs de s’y installer plus facilement,
mais le jeune Tsar, soucieux de faire oublier
ses origines, édicta des lois antisémites afin d’expulser
les nouveaux arrivants, pour la plupart ashkénazes originaires
de Hongrie.