J’ai lu cet été un très bon livre qui raconte l’histoire
dramatique d’une famille autrichienne, fuyant le nazisme,
qui après moultes péripéties, trouve refuge en République
Dominicaine. Ce livre, « Les Déracinés » de Catherine
Bardon est un excellent moyen pour découvrir un nouvel
épisode de la dispersion des Juifs. Cette lecture m’amena
tout naturellement à m’intéresser à cette île des Caraïbes
et à l’histoire des Communautés juives de ces contrées
lointaines.
Comme toutes les installations de Juifs en Amérique
latine, il faut remonter à la fin du 15ème siècle, à
l’expulsion des Juifs d’Espagne décrétée en 1492 par
les Rois catholiques. Nous savons que les volontaires
pour accompagner Christophe Colomb, qui voulait
découvrir une nouvelle route maritime vers les Indes,
n’étaient pas nombreux. L’infâme décret d’expulsion
faisait des Juifs des volontaires tout trouvés à un
exil urgent et obligatoire. D’autre part beaucoup de
nouveaux chrétiens, convertis par force et suspectés de
pratiquer le judaïsme dans le secret de leurs demeures
avaient été arrêtés et incarcérés en attendant leur
jugement. Colomb obtient de la Reine Isabelle, un
décret lui permettant de recruter des marins dans les
prisons afin d’étoffer ses troupes. Plusieurs détenus
Juifs furent ainsi les premiers à bénéficier de cette
mesure, on peut dire sans se tromper que Colomb sauva
ainsi la vie de nombreux Juifs.
C’étaient pour un grand nombre d’entre eux, des
commerçants, des avocats, des financiers, des médecins,
qui avaient abjuré leur foi pour pouvoir conserver leurs
fonctions, ils purent, en étant libres, récupérer une
partie de leurs biens et financer le voyage de Colomb.
La légende dit que la Reine Isabelle vendit ses bijoux
pour aider Colomb, mais ce n’est qu’une légende.
Colomb appareilla de Palos de Moguer la veille de
l’application du décret d’expulsion. Simon Wisenthal
dans son livre « opération Nouveau Monde », établit
clairement la relation entre le départ de Colomb et
l’application effective du décret. Partait avec lui la fine
fleur des savants de l’époque, ils étaient les cartographes,
les astronomes où les médecins, si nécessaires dans une
telle aventure.

La Santa Maria, La Pinta et la Nina

Lorsque la « Santa Maria », le galion de Colomb
aborda, le 6 Décembre 1492, la côte de cette grande
île, il fut frappé par la ressemblance des paysages avec
ceux de l’Espagne, il lui donna le nom d’Hispaniola.
Il fut accueilli par les Indiens Arawak, qui suivaient
avec surprise l’approche de ces drôles de bateaux qui
venaient vers la terre de leurs ancêtres. Lorsqu’il vit
cette foule bigarrée et nue qui l’attendait sur la terre,
Colomb pensa qu’il s’agissait de l’une des tribus perdues
d’Israël, dont parle la Bible. Il se fit accompagner par
un interprète juif, Luis Torrés (Alias Joseph Ben Levy)
afin d’échanger, en hébreu, les premiers mots. Cette
anecdote pour vous montrer la longue histoire qui relie
les Juifs à la République Dominicaine

Les Juifs s’installèrent donc à Hispaniola et fondèrent
des comptoirs commerciaux qui devinrent prospères
au cours des années. L’île changea souvent de
maître, tour à tour, les Espagnols, les Hollandais, les
Français la conquirent. Les Juifs changeaient leur lieu
d’implantation au gré des politiques menées à leur
égard, ils furent ainsi amenés à s’établir successivement
en Jamaïque, à Saint Thomas, à Curaçao, au Venezuela
et même en Floride. Ainsi se créèrent des centres de
commerce dans toute la Caraïbe, les commerçants juifs
achetaient et vendaient les produits des contrées où ils
étaient implantés, ils furent amenés à construire une
flottille de goélettes pour en assurer le transport.
Certains d’entre eux, pour se venger des Espagnols
qui avaient spoliés voire exterminés leurs familles,
devinrent des pirates qui s’attaquaient aux navires
espagnols et pillaient leurs cargaisons. Le plus célèbre
d’entre eux, Sinan le Juif, écuma la mer caraïbe pendant
une grande partie du 16ème siècle, il sévit aussi en
méditerranée et devint même, après l’avoir envahie
gouverneur d’Alger en 1550. D’autres pirates juifs, ou
quelquefois corsaires au service des rois d’Angleterre,
de Hollande et possiblement de France, s’illustrèrent au
17 siècle, comme les frères Panache (voir le tableau de
Rembrandt « Man in oriental costume » peint en 1634.
Pendant toute la période qui s’étendit jusqu’à la fin du
18ème siècle, Hispaniola étant redevenue espagnole, il
devint très difficile pour les Juifs de pouvoir y demeurer,
l’Inquisition faisant une terrible chasse aux « conversos
». En 1795, la situation changea lorsque l’Espagne céda
l’île à la France où la liberté de culte était totale. Des
familles séfarades vinrent à nouveau s’y installer. Le
premier Juif à être enterré dans un cimetière juif fut
Jacob Pardo, natif de Hollande, cet acte montrait la
bienveillance des Autorités envers cette Communauté.
Le 27 février 1844 fut proclamée la création de la
République dominicaine, le héros national Juan Pablo
Duarte arriva dans la nouvelle République à bord
d’une goelette appartenant à la compagnie Rothschild
et Cohen. Ce fut le premier navire à arborer le
nouveau drapeau dominicain. Les exilés juifs, ou leurs
descendants, ayant quittés plus ou moins récemment la
grande île, revinrent s’établir en grand nombre.
Il n’existait aucun antisémitisme, les nouvelles
Autorités dominicaines allant même, après avoir appris
l’existence de pogroms en Russie, jusqu’à proposer
à l’Alliance israélite universelle d’accueillir les Juifs
russes qui le désiraient. Les populations juives, dans cette
atmosphère de sérénité, s’intégrèrent très rapidement à
la société dominicaine et les mariages mixtes devinrent
choses courantes, les enfants issus de ces couples
étaient élevés dans la religion catholique. Malgré cela,
les familles s’enorgueillissaient de leur passé juif et
célébraient indifféremment les fêtes chrétiennes et les
fêtes juives, cette espèce de syncrétisme se faisait tout
naturellement.
Au début du 20ème siècle, le catholicisme prévalait
dans les anciennes familles juives, la situation
politique en République dominicaine devint explosive,
le Président dominicain Ramon Caceres est assassiné
le 19 novembre1911, cela entraîne une guerre civile
qui dure jusqu’en 1912. Le pouvoir change de mains
trop souvent, les Etats-Unis ne pouvant accepter une
telle situation dans leur Aire d’influence, envahirent et
occupèrent l’île le 15 mai 1916. En Europe la guerre de
14/18, perdue par l’Allemagne laisse ce pays exsangue
et permet la montée d’un nationalisme qui deviendra
vite le nazisme. L’antisémitisme devint le leitmotiv de
la nouvelle Allemagne, la vie des Juifs en Allemagne et
en Autriche, se transforma en cauchemar.
Seul en Europe ; Churchill dénonçait la montée d’Hitler
et le danger du réarmement de l’Allemagne.
Des lois antisémites interdisaient aux Juifs de
nombreuses professions, mais le Monde occidental ne
se rendait pas compte de l’imminence du danger, les
Juifs quittaient l’Allemagne et l’Autriche par milliers.
L’Amérique demanda qu’une conférence sur les
réfugiés se tienne rapidement, elle se fit à Evian du 10
au 16 juillet 1938, la Suisse, Siège de la Société des
Nations, ne voulant pas l’organiser de peur de froisser
Hitler. Sur les 32 pays présents, seule la République
Dominicaine représentée par le frère du Président en
exercice, Trujillo, accepta de recueillir un contingent
de 100.000 juifs contre des subventions. De fait les

Autorités dominicaines estimèrent que seuls 3000
candidats pourraient être acceptés, ils ne furent qu’un
peu moins de 800. Le pays accorda en outre plus de
5000 visas qui permirent à d’autres exilés de choisir
d’autres destinations, en particulier les Etats-Unis.
Rafaêl Trujillo était le Président de la République
dominicaine, appuyé par les Etats-Unis, depuis 1930,
c’était un dictateur sans pitié qui exerçait un pouvoir
absolu, peut-être voulait t-il redorer son image ? Dès
1938, les premières familles de réfugiés arrivèrent à
Ciudad Trujillo (nouveau nom de la Capitale), elles
furent immédiatement emmenées vers la région qui
avait été choisie par Trujillo pour les y installer. C’était
une ancienne plantation de bananes, abandonnée
depuis de nombreuses années, au bord du fleuve Sosua,
cette nouvelle ville fut donc baptisée SOSUA. Des
parcelles de terre furent données à chaque famille, ils ne
subsistaient que quelques bâtiments en ruines, aucunes
infrastructures essentielles n’existaient. La proposition
dominicaine, qu’ils avaient acceptée, représentait la
seule espérance de vie pour ces réfugiés.
Le 13 Mai 1939, un paquebot affrété pour transporter
937 Juifs de Hambourg à Cuba, fut repoussé par les
Autorités cubaines, il dériva pendant une semaine
entre la Floride et la Havane où des manifestations
antisémites l’empêchaient d’accoster. On espéra un
moment qu’il pourrait décharger sa cargaison humaine
à Ciudad Trujillo, mais les infrastructures locales ne le
permirent pas. Les 937 pauvres hères reprirent la mer
pour retourner en Europe où la plupart périrent dans les
camps de la mort.
Les familles de Sosua furent prises en main par une
Association créée à cet effet, la DORSA (Dominican
republic settlement association), c’est cette Association
qui répartit les différentes parcelles attribuées à chaque
famille. Les premiers mois furent difficiles pour ces
réfugiés venus d’Europe, il fallait non seulement
s’adapter au climat mais encore accomplir des travaux
totalement nouveaux. Ils furent tout d’abord décimés
par la malaria et le paludisme qui sévissaient de
manière endémique dans cette région. Heureusement
qu’au nombre des réfugiés se trouvaient des médecins
qui parvinrent à juguler l’épidémie.
A partir de rien, les réfugiés qui fuyaient l’Europe
nazie, créèrent une ville avec écoles, hôpitaux, ville
qui est toujours prospère aujourd’hui. Il ne reste que
10 familles juives, la plupart ont émigré vers les Etats-
Unis, mais tous les survivants ou leurs descendants
ont une grande reconnaissance envers la République
dominicaine et le souvenir des pionniers de Sosua ne
subsiste qu’à travers un petit musée et la synagogue.
Les Dominicains sont les seuls ressortissants d’un pays
étranger à ne pas avoir besoin de visa pour se rendre en
Israël.
A la fin de la guerre Trujillo proposa à la SDN d’accueillir
un nouveau contingent de 100 000 Juifs rescapés de
la Shoah, mais les infrastructures ne permettaient un
tel flot de nouveaux venus. Beaucoup de ces rescapés
préféraient rejoindre la Palestine
L’histoire des Juifs de Sosua ne doit pas tomber dans
l’oubli car on peut affirmer aujourd’hui que Sosua a
accompli son objectif :
SAUVER DES VIES
Jean-Claude Nerson