Au début de cette année, avec mon épouse, nous nous sommes rendus en Afrique du Sud. Ce voyage n’avait pas uniquement un but touristique, nous connaissions ce pays pour y avoir séjourné il y a une dizaine d’années. Nous souhaitions approfondir sur le terrain, notre connaissance de l’apartheid et corollairement, étudier l’histoire de la communauté juive d’Afrique du Sud. Pour ce faire, nous sommes allés à Cape Town, Johannesburg et Soweto.

BREVE CHRONOLOGIE DE L’HISTOIRE DE LA COMMUNAUTE JUIVE D’AFRIQUE DU SUD

A partir de 1800, les premiers Juifs arrivent en Afrique du Sud, en provenance de Grande-Bretagne et d’Allemagne. La majorité d’entre eux s’installent à Cape Town. Certains s’établissent en Rhodésie (aujourd’hui : le Zimbabwe et la Zambie).

En 1841 est fondée la première congrégation juive en Afrique du Sud. En 1863 eut lieu la consécration de la première synagogue à Cape Town. En 1880, 4000 Juifs vivent en Afrique du Sud et ont transformé la communauté juive en une significative minorité. Des communautés furent fondées à cette époque : Kimberley en 1875, Durban en 1883, Johannesburg en 1887 et Pretoria en 1890. En 1881, le Tsar AlexandreII fut assassiné. Des émeutes anti-juives se répandirent à travers l’Ukraine. Les pogroms étaient accompagnés de pillages et de viols. Les Juifs se retrouvaient indésirables dans un empire russe antisémite, ce qui généra un exode d’Europe de l’est pour des raisons de sécurité. Entre 1880 et 1930, beaucoup de Juifs des pays de la Baltique, principalement de Lituanie (40 000), de Lettonie et de Pologne, émigrent en Afrique du Sud. Entre 1933 et 1936, 3600 Juifs allemands réfugiés, fuyant les persécutions nazies, entrent en Afrique du Sud. Leur arrivée déclenche l’opposition du Greyshirts (mouvement pro-nazi antisémite). On observe alors une atmosphère d’hostilité contre les Juifs en général et les immigrants juifs en particulier. Le débat public atteint son paroxysme en 1936, quand arrive de Stuttgart à Cape Town, 570 Juifs allemands sur un bateau. La montée de l’antisémitisme s’amplifie et aboutit en 1937 à l’Aliens Act qui clôt l’immigration juive en Afrique du Sud. En 1936, il y a plus de 90 000 Juifs en Afrique du Sud. Après 1960, des Juifs arrivent du Congo Belge et entre 1970 et 1980, des anciens territoires de Rhodésie. De nos jours, la communauté juive d’Afrique du Sud est forte d’environ 80 000 personnes. La majorité se concentre dans deux régions : le complexe Johannesburg – Pretoria au nord (66%) et la péninsule du Cap au sud (25%), les autres, principalement dans les villes de Durban et Port Elizabeth.

LE MUSEE JUIF D’AFRIQUE DU SUD DE CAPE TOWN

Ce passionnant musée, inauguré par Nelson Mandela le 13 décembre 2000, illustre, à l’aide de matériel interactif, la vie religieuse, sociale et politique des Juifs d’Afrique du Sud. Des objets judaïques sont exposés. Ce musée est partiellement logé dans la première synagogue d’Afrique du Sud, dont j’ai parlé précédemment. Un shtetl, en yiddish, village traditionnel de Lituanie (pays d’où sont originaires le plus grand nombre de juifs d’Afrique du Sud), est reconstitué dans le sous-sol du musée. En inaugurant ce musée, Nelson Mandela rappela le rôle central joué par ses amis Juifs dans la lutte contre l’apartheid (entre les Juifs et lui, c’était une

longue histoire qui a commencé en 1941, lorsqu’il avait 23 ans : c’est un cabinet d’avocats juifs de Johannesburg qui lui avait permis de passer son stage de juriste chez eux. En fait, si le comportement de la communauté juive dans son ensemble n’a guère différé de celui des autres Blancs au temps de l’apartheid, une forte proportion de militants antiracistes, sont néanmoins issus de ses rangs. Certains ont durement payé leur engagement comme le militant communiste Denis Goldberg, emprisonné durant 22 ans, pour son implication dans l’ANC. Mais la personnalité la plus marquante de la communauté juive, demeure Helen Suzman, qui durant 36 ans (de 1953 à 1989), fut au parlement, la seule opposante à l’apartheid. Helen Suzman a visité Nelson Mandela durant son emprisonnement à Robben Island et le premier Président noir d’Afrique du Sud lui rendit un vibrant hommage : « c’est une remarquable femme sud africaine ». D’autres personnalités juives s’illustrèrent dans la lutte contre l’apartheid : Nadine Gordimer, écrivaine et Prix Nobel de littérature 1991 ; Cyril Harris, Grand Rabbin d’Afrique du Sud de 1987 à 2004 ; ou encore le chanteur Johnny Clegg. Dans son autobiographie « Long walk to freedom »(Un long chemin vers la liberté), Nelson Mandela a écrit : « j’ai trouvé les Juifs plus ouverts d’esprit que la plupart des Blancs sur les questions de race et d’exclusion, peut-être parce qu’ils ont été eux-mêmes victimes de ces préjugés dans l’histoire ».

A proximité immédiate du musée, nous avons visité la Grande Synagogue de Cape Town. C’est l’un des plus remarquables édifices de la ville. Achevée en 1905, elle dispose d’une impressionnante coupole et de deux hautes tours baroques.

LE MUSEE DE L’HOLOCAUSTE DE CAPE TOWN

Premier centre de l’holocauste du continent africain, il a été ouvert en 1999.

L’établissement est l’un des trois centres mis en place par la Fondation Sud-Africaine de l’Holocauste et le Génocide (SAHGF). Les deux autres centres sont situés à Johannesburg (ouvert en 2008) et Durban (ouvert en 2009). C’est un lieu de mémoire pour les six millions de Juifs exterminés par les nazis entre 1933 et 1945. Ce centre est organisé autour d’une exposition permanente didactique, avec un fonds d’archives et de documents remarquables, qui retracent l’histoire de l’antisémitisme en Europe, jusqu’à la solution finale. Il y a également un aspect très pédagogique avec des programmes éducatifs pour les écoles , leurs éducateurs et les groupes d’adultes. L’holocauste est enseigné dans le contexte de l’Afrique du Sud ; les leçons sur le racisme et l’apartheid sont mélangées. Dans un message, à l’occasion de l’ouverture du centre de l’holocauste de Cape Town en 1999, Nelson Mandela déclara : « la mémoire de l’holocauste va renforcer les fondations sur lesquelles nous construisons une nation qui s’assure que plus jamais notre terre voie les uns faire du mal aux autres, une nation engagée à s’efforcer d’obtenir un monde dans lequel de telles cruautés seraient bannies ».

LE MUSEE DE L’APARTHEID DE JOHANNESBURG

Ce musée inauguré en 2002 est conçu comme un voyage au coeur de la discrimination raciale. Le système oppressif est mis à nu de manière très spectaculaire. Il faut rappeler que l’apartheid fut conceptualisé et mis en place à partir de 1948 en Afrique du Sud et officiellement aboli le 30 juin 1991. En 1993, Nelson Mandela et Frederik de Klerk (Président blanc de l’Afrique du Sud à l’époque), reçoivent conjointement le Prix Nobel de la Paix pour leurs actions en faveur du démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud et de l’égalité raciale. C’est seulement en 1994 que les Noirs d’Afrique du Sud qui représentaient 75 % de la population ont pu voter selon le principe « un homme – une voix ». Ce premier scrutin multiracial ouvert à tous a permis l’élection de Nelson Mandela à la Présidence de la République d’Afrique du Sud. Il est à noter, que deux ministres juifs firent parti du premier gouvernement d’union nationale. Lors du procès de Rivonia en 1964, avant sa condamnation à la prison à vie, Nelson Mandela déclara devant ses juges : « Au cours de ma vie, je me suis entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J’ai lutté contre la domination blanche et j’ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. J’espère vivre assez pour l’atteindre. Mais si cela est nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».

Nelson Mandela a été emprisonné pendant 27 ans. Il a pardonné, « jeté la rancune à la rivière » et n’a pas voulu remplacer une domination par une autre, tout en déclarant : « une histoire oubliée est un futur perdu ». C’est cela le fondement de la nation arc-en-ciel, en paix avec elle-même et avec le monde. Puisse les hommes de bonne volonté, s’inspirer de l’exemple de Nelson Mandela…

Alain PONCET