Depuis quelques mois, la Crimée annexée par la Russie, l’Ukraine où des milices russophones font sécession et sèment la terreur, chaque jour nous apporte son lot de morts et de destructions. Qui se souvient que la Crimée était un foyer juif important où une population était implantée depuis des siècles et où tous les dirigeants russes depuis la Grande Catherine jusqu’à Staline, envisageaient la création d’un Etat juif ? L’Union soviétique voulait transformer les marchands juifs en agriculteurs et la chanson yiddish la plus populaire des années 1920 était « Dzankhoye » qui relatait cette transformation et la disparition de « l’esprit mercantile des juifs ». Aujourd’hui la Crimée est annexée par la Russie pour « protéger les russophones », défendre leurs intérêts et comme l’affirme Sergeï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères russe, pour combattre les nationalistes ukrainiens antisémites. Les Juifs sont présents depuis le 1er siècle dans cette péninsule du sud de la Russie où une Communauté d’origine grecque s’y était installée. Plus tard, entre le 7ème et le 10ème siècle, les juifs Khazars (ce peuple de cavaliers convertis au judaïsme dont j’ai parlé dans mon article sur les Juifs des montagnes), vinrent s’établir dans la péninsule après l’anéantissement de leur capitale par Sviatoslav 1er, roi de la Russie Kievienne (Crimée et Ukraine d’aujourd’hui). Arthur Koestler affirmait que la plupart des Juifs Askenazes descendaient des Khazars, cette thèse est fortement controversée de nos jours. Dés cette époque les juifs se divisent en deux groupes : Les Krymchaks qui suivent les traditions rabbiniques et les Karaïtes dont la foi est basée sur la seule lecture des Ecritures saintes (Pentateuque, Livre des Prophètes) et non sur la Torah orale. Battus près de Cherson, leurs capitale, en 1016, les juifs Khazars, cavaliers émérites, furent de toutes les guerres turco-russes. A cette époque, la Crimée, que les textes nomment Gaza ou Gazarie, était totalement autonome, les Byzantins laissaient une grande autonomie aux Autorités locales. Après l’invasion tatare en 1236/1240, la région fut transformée en un gigantesque marché où se côtoyaient les marchands provenant d’Europe, des rives de la Méditerranée et d’Asie. Les Juifs purent ainsi rencontrer des coreligionnaires venant d’Europe et ils devinrent les intermédiaires privilégiés entre ces marchands et la noblesse au pouvoir, leur influence s’étendit donc, attisant l’anti¬sémitisme. En 1475, ce furent les Ottomans qui conquirent la Gazarie et réduisirent les Tatars en simples vassaux. Les Juifs prirent la langue et les habitudes des conquérants et ce fut le déclin de l’âge d’or des Juifs criméens. En 1783 la Crimée fut envahie par la Russie et les Communautés juives souffrirent sévèrement, beaucoup d’entre elles quittèrent le territoire pour émigrer à Istanbul en Turquie. Contrairement à leurs coreligionnaires Krymchaks, les Karaïtes (de Kara, lire en hébreu) se sont toujours distingués du judaïsme traditionnel, ils respectent les grandes fêtes juives mais n’acceptent pas les décisions rabbiniques. Dés la prise du pouvoir par les Russes ils collaborent activement avec le nouvel envahisseur, ils revendiquent leur particularisme et demandent à la Tsarine, Catherine II, les mêmes droits que leurs voisins chrétiens ou tatars. Ils obtiendront gain de cause et ne furent plus assimilés aux Communautés juives. Cette négation de leurs origines fut même acceptée par les nazis qui déportèrent et assassinèrent les autres Communautés juives de Crimée, y compris les Juifs turcophones. La prise du pouvoir par les Bolchéviques en 1917, mit fin à cette situation privilégiée. Ils n’étaient plus qu’un groupe ethnique menacé de se fondre dans la nouvelle société soviétique. Des élites karaïtes furent influentes dans ce nouvel ordre social, Abramovitch fut adjoint de Trotski et plus prés de nous, le Maréchal Malinovski devint Ministre de la Défense de l’Union soviétique dans les années 1960. Pour remplacer les populations juives qui avaient choisis de quitter le pays, le gouvernement soviétique incita les Juifs de Russie à s’établir en Crimée. Ils étaient 2 837 en 1847, 28 703 en 1897. Les plus importantes communautés se trouvaient à Simferopol (la capitale), Kerch, Sebastopol ou Odessa. L’Etat russe alloua 342.000 hectares à ces nouveaux arrivants et en 1931, 5 150 familles juives vinrent s’y établir. On peut dire que ces installations agricoles furent le berceau du sionisme et que les compétences acquises dans les fermes de Crimée, servirent à la création des kibboutz en Palestine. Ces implantations juives, voulues par les Soviets s’accompagnaient d’expulsion des Tatars ou d’autres groupes ethniques, ce qui exacerbé encore l’antisémitisme existant. La politique collectiviste de l’Union soviétique devint de plus en plus pesante et les fermes communautaires juives furent transformées petit à petit en kholkozes. Ces fermes, qui avaient chacune un nom hébreu, durent en changer et beaucoup de ces néo-paysans ne l’acceptèrent pas, la productivité s’affaiblit, la famine commença à s’installer en Crimée puis dans toute l’Union soviétique. Ce fut la fin des implantations agricoles spécifiquement juives en Crimée, quelques kolkhozes peuplés de Juifs subsistèrent (86 en 1938) sur une superficie de 150.000 hectares, ils abritaient quelques 20.000 habitants. L’occupation allemande détruisit tout ces domaines agricoles et organisa le massacre systématique de la population juive. Tatars et Ukraniens se firent les auxiliaires des nazis et s’engagèrent nombreux dans les légions SS. Il est intéressant de revenir sur la situation d’Odessa, ce grand port ukrainien sur la mer Noire. Ce n’est qu’en 1789 que la ville d’Odessa fut construite sur les ruines d’une ancienne place forte turque. La Russie, voulant rapidement créer une cité importante, donna la possibilité à de nombreux émigrants de pouvoir s’y installer. Ce fut le cas des Juifs, s’ils n’étaient que six lors de l’invasion russe, le recensement de 1909 en dénombre presque 500.000. Le statut des Juifs est particulièrement novateur, Odessa est considérée comme un îlot de liberté au sein de l’Empire russe. Les Juifs de Russie, fuyant les pogroms vinrent par vagues successives. En 1885, Odessa était la 4ème ville de l’Empire soviétique et bientôt l’un des plus grands ports du pays. Les Juifs furent souvent les principaux acteurs de ce développement. Le Juif odessite devient un rouage économique incon¬tournable, il se distingue par son sens des affaires et son goût pour les arts, Odessa, comme l’écrit le grand écrivain américain Isaac Babel, est une ville façonnée par les Juifs. En 1910, 80% des sociétés céréalières appartenaient à des Juifs ainsi que 53% des commerces de détail, 63% des artisans, 70% des banques, 70% des professions médicales et 56% des avocats. Cet état de fait entraînait des manifestations anti-juives provoquées par les marchands russes ou ukrainiens. Dans le même temps un antisémitisme d’Etat se fait jour pour encourager ces antagonismes, des pogroms furent perpétrés et un sentiment de déchirement intense atteint la Communauté. L’émigration vers les Etats–Unis, l’Amérique du sud ou la Palestine, devient de plus en plus massive Odessa fut occupée par les troupes roumaines, alliées des Allemands. Après un attentat de la Résistance soviétique contre l’Etat Major roumain, le Maréchal Antonescu ordonna l’arrestation et l’exécution de la population juive de la ville, quelques 100.000 personnes furent massacrées en 1941. Les 33 385 Juifs (surtout des femmes et des enfants) qui n’ont pas été assassinés sont déportés dans les camps d’extermination. Le 10 avril 1942, il ne reste plus que 702 Juifs à Odessa. Lorsque, comme je le disais plus haut, le Ministre russe invoque, pour expliquer l’annexion de la Crimée, la lutte contre l’antisémitisme, on ne peut que rester septiques. En Ukraine, comme dans la péninsule de Crimée, la haine des juifs a toujours été l’un des moteurs des populations locales, soit par jalousie, soit par mobilisation des foules par le clergé contre le « peuple déicide », soit même par les partis nationalistes ukrainiens. Entre 1919 et 1920, sous le régime de Petlyura (il est considéré comme un héros national ukrainien), des dizaines de milliers de Juifs furent massacrés. 20 ans de régime soviétique ne changèrent pas les mentalités et pendant la dernière guerre, les Ukrainiens se firent les valets les plus serviles des nazis. Le massacre de Babi-yar en est le plus terrible exemple. Benjamin Orenstein, dans son livre « Ces mots pour sépulture », relate les agissements des nervis ukrainiens, plus féroces que les Allemands dans les sévices envers les déportés. Le Père Dubois, qui œuvre depuis des années en Ukraine pour retrouver les charniers où la population ukrainienne ensevelissait les Juifs assassinés, est très explicite sur le rôle de cette populace. Ce sont prés de 1 500 000 juifs qui furent exterminés. Après la guerre, lorsque des survivants qui avaient trouvé refuge en Asie soviétique, rentrèrent pour récupérer leurs biens, ils rencontrèrent une terrible hostilité de la part de leurs compatriotes et de l’administration soviétique Même le vieux rabbin de Kharkov ne put avoir accès à sa synagogue fermée et réquisitionnée, il fut envoyé en camp de travail pour avoir discuté une décision de l’Etat. Le souvenir même de la culture yiddish fut pratiquement banni. La protection des Russes… de quelle protection voulez-vous parler ? Savez-vous que les milices pro russes qui occupent la ville de Donetsk ont obligé les Juifs de la ville à venir s’inscrire sur un registre spécial, avec mention de tous leurs biens. Cela ne vous rappelle rien ? Trotski, Jabotinski, Moshe Dayan, Golda Meir et le rabbin Schneerson étaient d’origine ukrainienne. J.Claude Nerson Sources : Encyclopédia judaïca History
of the jewish people Nathan Ausubel