Allocution de Jean-Claude Nerson
Vice-président de l’Amicale d’Auschwitz du département du Rhône à l’occasion du voyage de la mémoire du 25 Novembre 2015
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Tout d’abord, afin de saluer la mémoire des victimes de la tuerie de Paris le 13 Novembre, je vous demande de respecter une minute de silence.
Merci
Le 6 Octobre 1943, aux éditions de Minuit, paraissait dans la clandestinité, un superbe poème d’ARAGON qui dépeint la vie dans le lieu où nous nous trouvons aujourd’hui :
« Aux confins de Pologne existe une géhenne dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson ; Auschwitz, Auschwitz,ô syllabes sanglantes , ici l’on vit, ici l’on meurt à petit feu ».
Tout a été écrit, filmé, télévisé sur Auschwitz, des milliers d’heures de pellicules ont permis de se rendre compte de l’univers concentrationnaire, mais rien ne permet d’évaluer le drame qu’a vécu l’Humanité si l’on ne fait pas une fois le voyage que vous effectuez en cette journée humide et froide de Novembre.
Ce lieu sinistre où il y a 70 ans déjà, les Soviétiques de l’Armée Rouge découvrirent jusqu’où pouvait mener la barbarie, jusqu’où l’Homme pouvait aller pour anéantir la notion même d’Humanité.
Dans ce voyage initiatique, vous avez tour à tour été choqués, blessés, révoltés, émus souvent, mais jamais indifférents au sort de plus d’un million d’êtres humains ignoblement massacrés pour le seul fait d’être nés juifs.Un nombre aussi élevé de victimes est difficile à concevoir sans comparaison, plus d’un million de victimes, c’est la population de toute l’agglomération lyonnaise, c’est le nombre total des morts français de la Grande Guerre.
Depuis 70 ans, philosophes, historiens et même théologiens ont tenté, vainement, de comprendre, voire d’expliquer, la Shoah.
Nul n’y a réussi, nul n’a pu sonder l’âme des bourreaux, nul n’a pu analyser comment la haine antisémite a pu passer la barrière des mots pour aller jusqu’à l’extermination systématique des millions de Juifs d’Europe.
L’Allemagne était la Nation la plus cultivée de l’Europe d’avant guerre, musiciens, philosophes, écrivains, intellectuels, dont beaucoup étaient juifs, en faisait l’exemple de la civilisation occidentale arrivée à son plus haut degré. Et pourtant, rien ni personne n’ont empêché un obscur peintre raté de faire de ce pays le berceau du plus grand massacre de l’Histoire. Les synagogues brûlaient, les magasins des Allemands de confession juive étaient pillés, les Juifs eux-mêmes étaient molestés, avilis puis arrêtés et incarcérés.
Il ne s’est pas trouvé un de ces grands esprits allemands pour s’y opposer voire même s’en étonner. Et lorsque leurs compatriotes ont été déportés vers les camps de concentration puis d’extermination, le forfait pu s’accomplir sans état d’âme.
La conférence de Wannsee de janvier 1942, décidant la solution finale du problème juif ne faisait qu’entériner une situation admise par la grande majorité du peuple allemand. Il était évident, voire normal pour ces citoyens normaux d’un pays normal de faire disparaître les Juifs de la surface de la Terre.
Celle-ci s’en porterait mieux !!!!!!!!!
Ne trouvez vous pas, Mesdames, Messieurs, Chers Amis, que l’Histoire à une fâcheuse propension à se répéter.
Ces propos sur l’anéantissement des Juifs ont tendance, à nouveau, à faire leur chemin, véhiculés par des mouvements terroristes, dans des esprits malades et embrigadés. Toulouse, Bruxelles, Paris et tant d’autres lieux encore, ont connu des drames épouvantables où les victimes ont été froidement exécutées simplement parce qu’elles étaient juives.
Les politiques, de tous bords, se déplacent en nombre sur le lieu de ces tragédies et dans de grandes envolées lyriques, assurent leur soutien à la Communauté juive, les forces de l’ordre sont visibles devant les lieux de culte ou les établissements scolaires ; remercions au passage ces jeunes soldats qui, avec patience et courage, protègent notre liberté). Ne vaudrait t-il pas mieux frapper fort tous les propos antisémites qui amènent à de tels actes ?
Lorsque la rue d’extrême gauche, voulant vilipender Israël, se permet de crier « mort aux juifs », lorsque des enseignants d’histoire ont, dans certains établissements scolaires, des difficultés à aborder la Shoah, le laxisme doit être banni.
Les assoiffés de sang juif doivent être lourdement pénalisés et les opposants doivent être exclus de leurs établissements. Sans cette sévérité, il y aura encore et encore des agressions. 84% d’augmentation des actes antisémites dans les 5 premiers mois de 2015, soit 508 agressions verbales ou corporelles.
Je ne parlerai pas des réseaux sociaux et d’Internet qui véhiculent, souvent sous couvert d’anonymat, les propos les plus nauséabonds.
Trois générations se sont succédées depuis la libération des camps de haute Silésie et les discours antisémites restent les mêmes. Il ne suffit plus de dire « soyez vigilants », il faut prendre les dispositions qui s’imposent lorsque le danger mortel est à notre porte. On ne détourne pas les yeux lorsque la maison brûle !!!!
Nos ancêtres qui ont laissé leurs vies, dans les conditions dont vous avez pu vous rendre compte dans les différentes étapes de votre visite, n’avaient pas eu la possibilité de s’opposer à leur destin funeste, l’Europe était envahie, les Gouvernements pro hitlériens mettaient tout en œuvre pour complaire aux oukases des nazis. Ils étaient piégés, à la merci de décisions arbitraires.
J’étais la semaine dernière au camp de Rivesaltes, dans le sud de la France, où les Gendarmes français avaient arrêtés des Juifs allemands sous prétexte qu’ils étaient Allemands et les avaient remis aux nazis, sous prétexte qu’ils étaient Juifs. Leurs vies se sont terminées ici, à Birkenau, dans les crématoires qui sont derrière nous.
Mesdames et Messieurs, faites attention, le Juif est un peu comme le canari dans la mine de charbon, il est la première victime, mais les autres suivront.
Lorsque j’ai rédigé mon intervention, l’abject massacre de Paris ne s’était pas encore produit, malheureusement mes propos étaient prémonitoires.
L’antisémitisme forcené, aveugle, ne s’est pas épuisé ici, Auschwitz n’en est pas, comme chacun l’espérait, le tragique aboutissement.
Le Monde contemporain s’est engouffré dans un nouvel antisémitisme qui gangrène la Société occidentale, qui gangrène même, j’ose le dire devant vous, le Monde entier. L’antisémitisme à la française, dont le point culminant fut l’affaire Dreyfus, est aujourd’hui largement dépassé, propagé sous couvert de son avatar : l’antisionisme… Des populations nouvellement converties à ce dogme font partout régner la terreur.
Est-il encore temps de trouver une parade à ce déferlement de violences aveugles ? Je le souhaite ardemment et c’est en se souvenant du passé, en commémorant l’anéantissement d’un Peuple dont nous sommes les héritiers, que nous fourbirons de nouvelles armes contre l’oubli.
Benjamin Orenstein, notre Président, rescapé de cet enfer, n’a pu nous accompagner aujourd’hui pour des raisons de santé. Souvent nous parlons de ce qu’il a vécu ici, les souvenirs viennent par bribes, comme apeurés d’être mis ainsi au grand jour. Il me dit combien les journées étaient courtes et longues à la fois, je pense à l’une de ses phrases en voyant la nuit s’étendre sur Birkenau, « tu sais, c’est en hiver que les jours nous paraissaient les plus longs ».
Je souhaite, chers Amis, que votre vie ne soit qu’une suite de jours d’été.