B’nai B’rith – Voyage en Israël, mai 2012, Jérusalem ; Nous sommes reçus par le rabbi Loubavitch envoyé en Israël, il y a 22 ans, pour diriger les Loubavitch francophones.
Nous sommes consternés par les propos qu’il nous a tenus : « Ceux qui ont eu la chance de disparaitre dans la Shoah rencontreront le Machia’h et vivront une éternité d’une telle splendeur que rien ne pourra en ternir éclat. Nous vivons dans cette période, le Machia’h arrive ! La Shoah n’est pas une catastrophe, c’est le passage obligatoire pour participer pleinement à l’arrivée du Machia’h. Il arrive et si c’était à refaire il faudrait le revivre car lorsque le Machia’h sera là toutes ces souffrances n’auront plus aucune importance tellement la joie, le bonheur sera grand, ce n’est pas imaginable c’est au-delà de la pensée humaine. Uniquement les juifs sont les fils de Dieu, ils sont comme une partie de Dieu. Le goy, l’autre, l’athée n’est pas mon prochain. L’important c’est la spiritualité, c’est l’âme. »
Il faut savoir ne pas répliquer… Proverbe hébreu.
Etre athée, c’est croire que Dieu n’existe pas. « L’athée n’a pas moins d’esprit que l’autre », cette remarque ne peut que sidérer tous ceux s’imaginant que la spiritualité n’est qu’un autre nom du religieux. Tout possesseur d’un cerveau a forcément une vie spirituelle.
Pas question de croisade contre les rabbins, et encore moins de ridiculiser ceux qui se pressent sur les bancs des synagogues… S’il y a un combat à mener, c’est pour la laïcité et pour la liberté de croyance et d’incroyance.
Ce n’est pas parce que je suis athée que je vais arrêter de penser, que je vais renoncer à toute vie spirituelle ! « Je suis mystique et je ne crois en rien. » Flaubert. Cela ne me paraît nullement contradictoire. Les athées n’ont pas moins d’esprit que les autres. Pourquoi s’intéresseraient-ils moins à la vie spirituelle ?
Un appel à la tolérance et à l’ouverture qui fait franchement du bien à l’heure où c’est le retour du religieux, y compris dans ses formes les plus dangereuses : intégrisme, obscurantisme, fanatisme… Il me parait urgent de les combattre ! Montrer que l’on peut défendre les Lumières et la laïcité. Encore faut-il le faire sans tomber dans la même intolérance que les plus sectaires des croyants.
La vie spirituelle, c’est la vie de l’esprit, c’est cette puissance en nous de penser, d’aimer, de vouloir. Nous sommes des êtres finis ouverts sur l’infini ; des êtres éphémères ouverts sur l’éternité ; des êtres relatifs ouverts sur l’absolu. La spiritualité consiste à expérimenter cette ouverture, à l’exercer, à la vivre par un certain nombre d’expériences : expériences à la fois de mystère et d’évidence, de plénitude, de simplicité, d’unité, de silence, d’éternité, de sérénité, d’acceptation, de liberté…
C’est en quoi la spiritualité touche à la mystique, qui peut se caractériser par « un état modifié de conscience », comme disent nos psychologues. C’est la fusion dans le « Tout même », – la nature, le devenir, l’éternel présent, et non à la rencontre d’un « Tout autre » – Dieu.
Je suis athée parce que je ne crois en aucun Dieu. Je suis fidèle, parce que je reste attaché aux valeurs de notre tradition. Notre histoire depuis plus de 3000 ans. La Haggadah me convient, le Seder est une belle fête de famille. Faudrait-il, parce que je suis athée, travailler à sa méconnaissance ? Ce serait confondre l’athéisme avec la barbarie ou le nihilisme. J’ai plutôt envie de transmettre à mes petits-enfants les valeurs morales que j’ai reçues, qui ont forgé notre histoire, notre façon de vivre et d’aimer… Ne pas croire en Dieu, ce n’est pas une raison pour renoncer à se battre pour la justice, pour la paix, pour l’amour, pour une certaine conception de la vie et de l’humanité.
Je suis donc un intellectuel, enfin, un homme seul ! Un homme qui parle, pense, opine seul.
Les pouvoirs totalitaires croient que l’on ne peut pas déserter les grands rassemblements d’opinions, c’est-à-dire de préjugés, que l’on appelle les majorités. C’est même un article majeur de leur croyance. L’intellectuel pense que oui. Il pense que l’on peut être seul, ou presque, à manifester sa vérité. L’intellectuel, contre la dictature de l’opinion. L’intellectuel, contre la religion des majorités. L’intellectuel qui oppose l’intelligence à l’esprit de la sous-culture.
David Barré – Mercredi 6 juin 2012.