Allocution de Jean-Claude Nerson Vice-Président
de l’Amicale d’Auschwitz
Vous êtes, Mesdames, Messieurs, chers jeunes amis, dans ce lieu où le 27 Janvier 1945, les soldats de l’Armée Rouge, incrédules, découvrirent plus de 5000 morts vivants abandonnés par les nazis. Ils erraient, déguenillés, se traînant plutôt que marchant, dans une neige glacée. Haves, squelettiques, les plus valides aidant les mourants, suçant avec avidité cette neige afin d’étancher une soif qui brûlait leurs entrailles. C’était leur dernière tentative de survie, bien peu en réchapperait.
Plus de 1 million trois cent mille personnes, nourrissons, enfants, femmes et hommes avaient péri dans ce lugubre endroit …1 300 000 ; vous rendez vous compte de l’ampleur et de la portée de ce nombre ?
Nous venons de commémorer l’armistice de la guerre de 14/18 – 1.300 000, c’est le nombre total des soldats morts pour la France dans cet effroyable conflit. Sur tous les fronts, dans toutes les batailles dont on retient les noms avec respect ; Verdun, la Somme et d’autres encore.
Ici, à Birkenau, sur les 170 ha du camp, les nazis en quelques années de destruction massive, arrivèrent au même macabre résultat. Un lourd nuage de mort planait continuellement au dessus des crématoires. Le Monde découvrait avec effroi ce que l’Homme pouvait faire à l’Homme. Dans ce coin de Pologne, bucolique à souhait (une forêt de bouleaux au bord d’une rivière), les nazis, en silence perpétraient le plus grand crime qu’ai connu l’Humanité.
Un grand penseur juif, André Neher écrivait » ; la mort d’Auschwitz ne souffre de comparaison avec une autre forme de mort connue depuis les origines de l’Histoire. Jusqu’au 20éme siècle une telle mort était impensable ». Et pourtant, elle s’est déroulé cette mort, arrêtés, déportés, transportés, avilis ; des êtres humains étaient arrachés à leurs racines pour être transformés en matière première par l’industrie mortifère des nazis.
Les cheveux des femmes servaient de trames aux tissus des uniformes de la glorieuse armée allemande.
Les dents en or, transformées en lingots, finançaient l’effort de guerre nazi.
La graisse des corps calcinés devenait du savon qui permettait aux allemandes de se sentir plus propres.
Jusqu’aux cendres qui étaient cédées, par brouettes entières, aux paysans voisins pour fertiliser leurs cultures vivrières.
Qu’avaient fait ces pauvres gens pour mériter un tel sort ?
Pour la plupart, leur seul crime avait été de naître Juif, cela méritait bien les châtiments exemplaires, et, bien sur, quel que soit l’âge des coupables….. la tache était indélébile.
Cet état de Juif se recherchait (grâce à des généalogistes chevronnés) sur plusieurs générations, la conversion ne pouvait en aucun cas exempter le Juif de la mort. Solution finale, voilà le nom de code consacré par les chefs nazis à la conférence de Wannsee, le 20 Janvier 1942. L’antisémitisme maladif des nazis, la complicité de tout un peuple, le silence voire la complaisance des Nations ont permis à 15 Hauts dignitaires nazis de décider du sort de millions d’êtres humains.
La comptabilité précise avait été exigée afin de mettre sur pied leur entreprise de mort.
Trois ans, jour pour jour après Wannsee, ce fut la découverte de la réalisation de leur plan. Vous avez pu vous rendre compte tout au long de cette journée du résultat, le massacre des juifs d’Europe, à partir d’une idée qui avait germée dans le cerveau d’Hitler et qui avait largement progressée grâce à des fonctionnaires zélés.
Jusqu’à ce jour de janvier 1942, des dizaines de milliers de juifs avaient déjà été exterminés, mais cela ne suffisait pas, comment en un très court laps de temps pourrait on venir à bout de 11 millions de Juifs (puisque là était le but de la Solution finale). Heydrich décida de mettre en place des usines de la mort car, et je répète ici ses propos « Il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité des Juifs, car il pourrait rester des éléments résistants qui seraient susceptibles d’être le germe d’une nouvelle souche juive, pour peu qu’on en laisse quelques uns en vie »
Himmler, dans un discours devant les officiers nazis le 6 octobre 1943 donnait encore plus de sens à ces propos : « Vous me demandez disait-il, Que fait-on des femmes et des enfants ? J’ai trouvé la solution évidente, je ne me sentais pas le droit d’exterminer les hommes et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre.
Venir à Auschwitz, Chers amis, n’est pas sans signification, votre démarche est importante, elle prouve, non seulement votre attachement à ce travail de mémoire si nécessaire, mais surtout elle prouve votre souci de l’avenir même de l’Humanité. Que serait l’Humanité si elle oubliait son passé ? ; un navire sans pilote sur un océan déchaîné. Cette Humanité serait prête à toutes les dérives si elle ne prenait pas en compte les crimes perpétrés contre son existence même.
N’oublions jamais que les nazis allemands étaient des être humains, combien délicats et combien esthètes. C’étaient des êtres humains qui savaient s’émouvoir à une tragédie de Goethe ou à une symphonie de Beethoven. Comme sont humains ceux qui, il y a quelques semaines, criaient « mort aux juifs » dans les rues de Paris.
Il était un temps où les journaux avaient comme objectif d’informer leurs lecteurs sur les nouvelles du Monde, il apparaît qu’aujourd’hui, ces mêmes organes de presse, suivant un politiquement correct institutionnel, s’évertuent à minimiser les crimes de certains pour mettre en parallèle les supposés massacres perpétrés par les Juifs contre des populations innocentes. Ne revoyons nous pas une répétition de l’Histoire, lorsque les journaux affidés aux thèses nationales socialistes accusaient les Juifs d’être responsables du déclin de l’Allemagne et de la famine qui frappait les couches les plus démunies de sa population ?
Le raccourci vous parait peut-être osé, mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, j’ai peur de voir l’évolution de ces manifestations nauséabondes.
J’ai peur du nouveau visage de l’Europe.
Un psychiatre israélien a une formule que je fais mienne : « les Européens n’ont pas pardonné Auschwitz aux Juifs ». Pour tenter de laver leur culpabilité indélébile, ils accusent les Juifs de tous les maux en excusant bien souvent les barbares. Ils font de cette façon, et nous en sommes témoins tous les jours, le lit de la barbarie.
C’est ici, à Auschwitz, que le passé et le présent se rejoignent ; toutes les sociétés totalitaires se sont d’abord attaquées aux Juifs, et devant l’apathie de leurs compatriotes, leur sort était rapidement réglé, mais une fois cette étape franchie, elles ne s’arrêtaient pas en si bon chemin. Les opposants idéologiques sont à leur tour sacrifiés, puis la non observance de dogmes millénaires vaut condamnation à mort.
Vous qui êtes venus avec nous en ce jour sombre de décembre, vous qui venez de marcher dans les traces des suppliciés, vous dont les narines ont pu encore déceler l’âcre odeur des corps brûlés, et je m’adresse en priorité aux plus jeunes d’entre vous, ne vous laissez jamais entraîner par de beaux parleurs et sachez toujours vous opposer à ces foules assoiffées du sang de ceux qui sont différents.
Jean-Claude NERSON
Vice Président de l’Amicale des Déportés du Rhône