Les Juifs d’Afrique du Sud
Un week-end dans le Luberon, une maison d’hôtes, un temps pourri et la découverte d’un livre « ZULU » de Caryl Ferey, il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité.
Nous savons peu de choses sur la Communauté juive d’Afrique du Sud qui est pourtant la plus importante d’Afrique. Sur les 90.000 Juifs qui vivent encore en Afrique, 90% vivent en Afrique du Sud. Depuis la création de l’Etat d’Israël, de nombreux Juifs ont émigré et ceux qui restent se concentrent dans les grandes villes (Johannesburg ou Le Cap).
L’histoire des Juifs, dans ce pays du sud de l’Afrique, commença bien avant l’occupation du cap de Bonne Espérance. Les navigateurs portugais qui cherchaient une nouvelle route des Indes pour l’approvisionnement de leur Pays
en épices, étaient très souvent accompagnés par des cartographes juifs.
L’école de cartographie de Lisbonne, comme celle de Barcelone dont j’ai parlé dans un précédent article, était réputée pour la qualité de ses membres.
Ces grands navigateurs que furent Bartholomeu Dias ou Vasco de Gama, qui les premiers voguèrent dans les parages du Cap, n’échappaient pas à cette règle.
Astronomes et Cartographes juifs, souvent convertis au catholicisme, mais pratiquant leur culte en secret comme beaucoup de marranes, s’embarquaient pour échapper à l’Inquisition qui sévissait durement au Portugal dés 1536.
Ce fut les navigateurs hollandais qui les premiers installèrent un comptoir permanent, géré par la puissante Compagnie des Indes occidentales. Les juifs,
non déclarés comme tels étaient tolérés parmi les premiers colons.
Quelques années plus tard et pendant les 150 années qui suivirent, de nombreux Administrateurs juifs hollandais siégèrent au Directoire de la Compagnie.
Un protestant, Jacob Abraham de Mist, grand homme d’état hollandais, fut nommé commissaire général de la colonie du Cap en février 1803. Sous son administration, une grande tolérance religieuse fut instituée, en juillet 1804, il proclama l’égalité de toutes les religions devant la loi. Il établit des écoles
pour tous sans privilégier une religion par rapport aux autres, ces écoles étaient gérées par le Gouvernement hollandais.
Une autre ordonnance fut prise qui autorisait les mariages inter- religieux et mettait fin à l’obligation d’unions chrétiennes célébrées par un homme d’église.
Lorsque la Colonie fut reprise par les Britanniques en 1806, il fut mis fin à ces lois de tolérance, elles ne furent rétablies qu’en 1820.
A cette époque les quelques Juifs qui vivaient dans la Colonie étaient des marchands, leurs employés et leurs familles.
Parmi ceux-ci, les frères Mosenthal, qui virent très rapidement
le parti qu’ils pourraient tirer du climat, de l’eau en abondance et de très grandes étendues.
Commerçant avec des coreligionnaires installés dans l’Empire ottoman, ils signèrent un accord avec le Sultan Mahmud II, pour importer 30 moutons Angora à la laine épaisse. Les moutons mâles furent stérilisés afin que les Mosenthal
ne puissent pas favoriser un élevage en dehors de la Turquie.
Mais le hasard (ou la complicité d’un berger) fit qu’une brebis était gravide et qu’elle mis au monde un agneau mâle.
Ce fut le début d’une formidable industrie, on peut dire que les Fréres
Mosenthal furent à la base de la création de la laine Mohair, industrie qui
perdure encore aujourd’hui, l’Afrique du Sud étant le plus gros producteur
mondial.
Les Anglais permettaient aux colporteurs juifs de sillonner le pays, ce qui permit à certains d’entre eux de faire fortune dans l’industrie du diamant.
A cette époque, Cecil Rhodes, 1er Ministre britannique de la Colonie, comprit tout le parti qu’il pourrait tirer de la prospection de cette pierre précieuse, il créa dans
le Kimberley (région de la Colonie) une immense mine à ciel ouvert et associé à 10 familles juives, la Compagnie DE BEERS (du nom du premier propriétaire des terrains).
Il créa, en 1890, un Cartel des diamants qui contrôlait 90% des diamants sud-africains. Ce Cartel intervenait sur les marchés de Londres,New-York ou Anvers.
En 1929, un Juif d’origine allemande, Ernest Oppenheimer, pris la direction du Cartel et jusqu’à nos jours l’industrie du diamant, depuis la mine d’origine jusqu’à la vente, en passant par la taille, reste entre les mains de communautés juives, pour la plupart hassidiques sur les marchés d’Anvers, de Brooklyn ou d’Israël.
Son fils Harry, qui lui succéda, eut l’idée géniale de faire du diamant un symbole de richesse et d’éternité.
Jusqu’en 2010, la De Beers commercialisait toujours 90% de la production mondiale de diamants. Les aléas des guerres africaines, la mauvaise réputation de beaucoup d’intermédiaires, a fait descendre ce pourcentage à 40% ujourd’hui.
Dés la deuxième partie du 19ème siècle, les familles Mosenthal, De Pass, Jacob, Salomon, s’intéressèrent à la politique de leur pays et accédèrent aux postes les plus élevés.
En 1870, Saul Salomon (que l’on surnommait le Disraeli du Cap) devint l’un des membres le plus éminent du Gouvernement.
Mais les jalousies de la population britannique donnèrent naissance à un antisémitisme inconnu jusque là.
Le Gouvernement pris des mesures restrictives pour réserver les postes importants aux Protestants, excluant de fait Catholiques et Juifs.
A partir de 1886, une ruée vers l’or et les diamants amena une population juive importante, venue souvent de Lituanie, à tel point que la ville de Johannesburg en
comptait quelques 40.000 en 1914.
Les mauvaises langues la surnommaient « Jewburg »
La guerre des Boers (1899.1902), vit les Juifs s’engager des deux côtés (2800 côté britannique et plus de 300 côté Boer).
La défaite des Boers fut synonyme d’exil pour beaucoup de Juifs, ils quittèrent le pays pour s’installer aux Bahamas ou à Ceylan.
En 1930, le Gouvernement mit en place un quota des Juifs autorisés à venir s’installer en Afrique du Sud, les nouveaux émigrants, provenaient, pour la plupart, de Lituanie, comme ceux de la précédente vague d’immigration.
A l’aube de la seconde guerre mondiale, quelques 500 à 600 Juifs allemands vinrent se réfugier en Afrique du Sud, ils déchantèrent vite devant la sympathie pour les Nazis, affichée ouvertement par de nombreux Africanders.
Malgré cette hostilité, engagé constitutionnellement avec les Anglais, l’Afrique du Sud déclara la guerre à l’Allemagne.
Seuls les Blancs pouvaient prendre les armes et les Juifs furent nombreux à rejoindre le contingent qui fut envoyé sur les zones de combat d’Afrique du Nord et d’Italie.
Après la guerre, beaucoup d’intellectuels juifs se levèrent contre l’apartheid et intervinrent en faveur de Mandela, Elie Wiesel, lui-même, fit une intervention
remarquée lors de la remise de son prix Nobel, à Oslo, en 1986.
Mais dés 1990, les Juifs qui avaient applaudis aux prises de position de Mandela, furent très déçus de le voir se rapprocher de Yasser Arafat, le leader palestinien, qu’il appelait son « camarade de combat »
Après des périodes de grands froids, les relations entre les Juifs et Mandela se réchauffèrent, notamment grâce à sa première visite officielle en Israël où il déclara solennellement « je ne puis concevoir la paix si les voisins arabes d’Israël ne le reconnaissent pas dans des frontières sûres »
Aujourd’hui la Communauté juive d’Afrique s’est stabilisée entre 70.00 et 90.000 membres ( il n’y a pas de statistiques officielles), elle devient de plus en plus religieuse, 80% des Juifs Africanders affirment leur orthodoxie.
Je ne voudrais pas terminer cet article sans parler des Lembda, ce curieux peuple vivant à la frontière du Zimbabwe (ancienne Rhodésie) et de l’Afrique du Sud.
Chrétiens ou musulmans ils se revendiquent descendants du peuple juif. Ils observent le Shabbat, sont circoncis, ont des pratiques alimentaires s’apparentant au casher et mettent une étoile de David sur leurs tombes.
Sont- ils des convertis du temps du prosélytisme juif ? Le mystère reste entier, épaissi par le fait que leur ADN se rapproche de celui des peuples du Moyen-Orient.
Mais ceci est une autre histoire.
Jean-Claude Nerson