France, faisant de l’Albanie, pays réputé sûr, la deuxième nationalité en nombre à vouloir la protection de
notre pays.
Elle avait, les années précédentes était la première.
Interpellé par cette nouvelle, je me suis intéressé à ce petit pays de 28748 Km2, soit 20 fois plus petit que
la France, officiellement candidat à l’adhésion à l’Union Européenne, sa candidature a été acceptée par le
Conseil Européen le 27 juin 2014, mais les dernières formalités prennent du retard en raison d’un refus de
la France.
Vous connaissez mon intérêt pour les Communautés juives disséminées de par le monde et je fus très intrigué
lorsque je lus, dans un article sur ce pays que le plus grand spécialiste mondial de la langue albanaise fut un
Juif, Norbert Jokl, porté disparu en 1942, sans doute arrêté par les Nazis.
Le Clergé albanais mit tout en oeuvre, intervenant auprès des Autorités italiennes, alliées des Allemands,
pour qu’elles intercèdent en faveur de Jokl afin qu’il soit transféré en Albanie, mais ce fut en vain. Une telle
attitude, si peu répandue à cette époque, laissait supposer une certaine bienveillance envers les Juifs, je me
mis donc à la recherche d’une éventuelle présence juive en Albanie. Les premiers Juifs à fouler le sol albanais
furent des esclaves provenant de la Palestine occupée par les Romains.
D’après la légende, ils partirent en esclaves de Palestine et, à la faveur du naufrage du bateau qui les transportait,
près de la côte adriatique, certains survivants purent s’échapper et s’installer en hommes libres sur
la terre albanaise. D’après Flavius Josèphe le plus grand nombre resta dans le sud du pays. On sait peu de
choses sur ce qu’il advint de ces hommes et des recherches permirent de découvrir dans les ruines de Dardania
( un port sur l’Adriatique à l’époque romaine), des vestiges d’une synagogue datant du 2ème siècle.
En 1980 furent mis au jour d’autres vestiges d’une plus grande synagogue datée du 5ème ou du 6ème siècle,
mais les recherches furent abandonnées jusqu’aux premières années de nôtre siècle.

Mémorial de Tirana

Ce lieu de culte, localisé dans la petite ville de Saranda, située
face à l’île grecque de Corfou,fut longtemps considéré
comme les ruines d’une église chrétienne abandonnée depuis
des siècles, elle doit à la sagacité des chercheurs de l’Université
hébraïque de Jérusalem, la révélation de sa véritable destination.
Au 12ème siècle, le grand voyageur espagnol, Benjamin de Tudela
rapportait que dans ces contrées on trouvait de nombreux
patronymes d’origine juive et que certains habitants se disaient
Juifs.
Le Moyen Age vit l’installation des Romaniotes du sud de la
Grèce et de Salonique et vers la fin du quatorzième siècle des
Juifs venus de Hongrie rejoignirent les petites Communautés
déjà installées.

Musée juif de Bérat

L’Albanie, sans cesse envahie, n’est pas encore
un Pays, au sens moderne du terme. Tour
à tour aux mains des Normands, des Byzantins,
des Français (Charles d’Anjou, un frère
de Saint Louis, se proclama roi d’Albanie en
1272 et régnera jusqu’en 1280) , des Bulgares,
des Vénitiens (ces derniers cédèrent le
pays à la Turquie en 1501) et des Ottomans
jusqu’en 1912.
Les communautés juives vivaient en bonne intelligence
avec leurs voisins et s’adaptaient aux différents envahisseurs, une histoire de leurs
existences fut écrite par l’historien albanais Apostol Kolanimais La littérature est très pauvre sur ce sujet.
L’Empire Ottoman accueillait volontiers les Juifs chassés de la péninsule ibérique ou fuyant l’Inquisition, au
cours du 16ème siècle. De nombreux réfugiés s’installèrent dans les ports et les principales cités albanaises.
A Tirana, Berat, Durazzo,Elbasan, Valonna,Vlore, ils y créèrent de petites industries et permirent des échanges
commerciaux avec les Pays de la région où résidaient des coreligionnaires. Vlore, la principale ville d’Albanie
de cette époque, comptait un tiers d’habitants juifs
C’est à cette même époque que naquit à Smyrne, le faux prophète Sabbataï Zevi, il se proclamait le Messie
et un grand nombre de Juifs suivirent son message.
Dans un siècle où les Juifs étaient persécutés dans tous les Pays d’Europe à la fin de la guerre de Trente Ans,
où les pogroms massacrant des dizaines de milliers de Juifs sévissaient en Russie, où l’Inquisition continuait
son oeuvre destructrice, l’année 1648 fut une année cruciale. Les Juifs attendaient la venue du Messie, les
Chrétiens, le retour glorieux de Jésus et la résurrection des morts, tout concordait pour rendre crédible aux
yeux des croyants les déclarations de Sabbataï Zevi. En se proclamant Messie, il fit l’effet d’une bombe à
retardement dans le monde juif de l’époque, son succès était d’autant plus retentissant que l’on approchait
de l’an 1666, qui était un nombre symbolique de la numérologie de la Kabbale . Son influence, malgré le
« Herem » (excommunication) des Autorités rabbiniques, devint grandissante. De nombreuses Communautés
le reconnurent comme « Messie des Juifs » , remplaçant leur rabbin par des hommes nommés par lui. Il
devint rapidement un facteur de troubles dans toutes les Communautés d’ Europe ou moyen-orientales.
Des Chrétiens, qui considéraient 1666 comme l’année de l’Apocalypse, suivirent ce mouvement et lui donnèrent
encore plus d’audience. Fort de ses succès, Zevi s’installa à Istanbul, capitale de l’Empire Ottoman,
briguant même la place du Sultan. Ce dernier, voyant le danger que pouvait représenté pour son peuple un
tel dérèglement, le fit arrêter et emprisonner.
Condamné à la peine de mort, il ne dut sa grâce qu’à sa conversion à l’Islam. Il fut exilé par le Sultan en
Albanie d’où il devint l’habitant le plus célèbre, il y mourut en 1676.
Sa conversion, son imposture mettant au jour sa véritable personnalité, furent ressentie comme un véritable
cataclysme par la population juive de l’époque. Il suscita des conversions à l’Islam et une secte, les sabbatéens,
resta encore très active jusqu’en 1923, notamment à Salonique où plusieurs milliers de fidèles attendaient
son retour. Cette secte perdure encore aujourd’hui en Turquie.
Après cet épisode, la vie des Juifs d’Albanie ne fut pas particulièrement difficile, les Autorités ottomanes ne
les persécutant pas et leur permettant de respecter leur foi. Ceci explique que pendant la guerre d’indépendance,
on leur reprocha d’avoir été bien tièdes dans la révolte contre les Turcs.
Après la première guerre mondiale, on recensait 204 Juifs dans tout le royaume, le journaliste Leo Elton,
qui visitait le pays en 1935, écrivait que l’Albanie pourrait devenir un refuge idéal pour les Juifs persécutés
en Europe.

En 1937, la Communauté fut reconnue officiellement par le Roi Zog 1er, qui permit l’installation de 400 réfugiés.
Les Autorités albanaises ainsi que les habitants firent tout ce qui était en leur pouvoir pour cacher les
Juifs que la Gestapo chassait après avoir remplacer les Italiens trop laxistes à son gré. Grâce à la bravoure de
cette population qui cacha des Juifs au péril de sa vie, bien que 600 Juifs fussent déportés vers les camps de la
mort, plus de 2000 purent se cacher. L’Albanie est le seul pays d’Europe où les Juifs purent survivre protégés
par une population dont les codes d’honneur complexes obligent à la protection des Invités quels que soient
les dangers encourus. On vit des officiers de la Milice albanaise, totalement acquise aux Nazis, arrêter des
Juifs et aller les cacher dans leur famille dans des coins inaccessibles du Pays.
L’Albanie est le seul pays d’Europe à majorité musulmane,il est aussi le seul pays où la population juive était
plus importante après la guerre.
L’Etat d’Israël ne s’y est pas trompé puisqu’il a nommé 75 Albanais musulmans, Justes parmi les Nations.
De nombreux Juifs purent s’embarquer vers la Palestine jusqu’à l’arrivée de la dictature communiste d’Enver
Hoxha qui, jusqu’en 1991 décréta l’Albanie athée et fit détruire tous les lieux de culte. Dès la chute de ce
régime, la grande majorité des Juifs émigra vers Israël.
L’Albanie cherche, aujourd’hui, à faire connaître au Monde l’attitude digne de son Peuple durant la seconde
guerre mondiale.
Le 21 novembre dernier fut présenté au Mémorial de la Shoah, à Paris, un documentaire « le code albanais »,
qui relate la vie quotidienne de la population albanaise durant le dernier conflit mondial et son action courageuse
dans la protection des Juifs.
Déjà, en 2008, un professeur de confession chrétienne Simon VRUSHO, créa avec ses propres deniers, un
Musée pour rappeler aux visiteurs comment les habitants de sa petite ville de Bérat réussirent à sauver tous
les Juifs qui y avaient trouvé refuge, grâce aux familles musulmanes et chrétiennes. Ce Musée, le seul d’Albanie,
fut nommé Musée Salomon et est visité aujourd’hui par des centaines de visiteurs venus d’Israël.
Le fondateur de ce Musée à qui la presse demandait les raisons qui l’avaient poussé à se lancer dans cette
aventure, répondit simplement « les souvenirs avaient besoin d’avoir une maison à eux », quelle belle formule
pour perpétuer la Mémoire !
Les liens avec Israël se sont encore resserrés après le terrible tremblement de terre qui secoua l’Albanie le
26 Novembre 2019. L’Armée israélienne envoya une équipe de spécialistes pour aider les sauveteurs venus
de nombreux pays d’Europe.
Depuis l’établissement de relations diplomatiques en 1991, les deux pays entretiennent d’excellents rapports.
Le 26 Juillet 2018, un monument commémorant l’ex premier ministre israélien Shimon Peres a été dévoilé à
Tirana, afin de montrer combien l’amitié entre les deux pays est solide et profonde.
Aujourd’hui, les Albanais juifs ne sont plus qu’une petite centaine qui restent attachés à leur foi, mais ils sont
fiers d’avoir fait partie d’un pays qui a montré au Monde qu’une attitude différente était possible devant la
barbarie nazie.
Jean-Claude Nerson