Voyage de la Mémoire du 23 novembre Allocution de Jean-Claude Nerson Vice-Président de l’Amicale d’Auschwitz du Rhône et de la Métropole de Lyon
Mesdames, Messieurs, Chers Amis, Dans un merveilleux livre de Michèle Sarde, j’ai relevé ce bouleversant poème :
Auschwitz ; la mort y coulait comme lave,
J’ai vu passer au crématoire, Matin, midi et soir,
des milliers d’innocents :
Hommes, Femmes, Enfants.
Sans un pleur, sans un cri :
Ebahis, anéantis, surpris.
Birkenau, où nous nous recueillons ce soir, n’est pas seulement le plus grand cimetière juif que la terre ait abrité au cours des siècles, ce n’est pas seulement cette usine de mort, c’est surtout la négation même de l’Humanité.
Dans ma candeur naïve, je pensais, au cours de mes voyages, que cette humanité s’était ressaisie, tous les Grands de ce monde nous ont précédé sur ce monument devant lequel vous vous trouvez. Tous ont répété, dans toutes les langues, sur tous les tons « Nous sommes là pour que de tels faits ne se reproduisent plus jamais » Mais je me trompais lourdement, la barbarie n’avait pas dit son dernier mot, après Toulouse et les affreux crimes de Merah, après Charly-Hebdo, l’Hyper casher, il y eut le Bataclan.
L’an dernier, à cette même époque, nous étions sous le coup de l’émotion suscitée par le lâche massacre de tous ces jeunes assassinés parce qu’ils aimaient la vie.
Après la minute de silence dédiée à leur mémoire, nous pensions que le pire venait de se passer, chez nous, à Paris, en France.
Nous nous trompions lourdement, le 14 juillet dernier, il y eut Nice et son lot de victimes innocentes. Le 14 juillet, symbole de notre République, symbole de notre démocratie dont Liberté, Egalité, Fraternité sont les bases.
La barbarie nazie, dont les uniformes noirs étaient à la couleur de son dessein, a trouvé dans les assassins de Daesh des émules tout aussi assoiffés de sang. Les temps ont changé, les méthodes restent les mêmes ; souvenez vous, les nazis brûlaient les œuvres d’art des artistes qu’ils appelaient dégénérés, ils détruisaient les peintures, les sculptures, les livres.
Les milices incultes de Daesh font de même en détruisant systématiquement les vestiges des civilisations qui ont précédé l’Islam. La démarche symbolique est identique, c’est pour cela que je vous demande solennellement, ici, en ce lieu de souffrance, de ne plus accepter les compromissions, aussi minimes soient-elles,qui restreignent notre liberté de pensée.
Vous voyez où nous a conduit le rêve fou d’un malade mental démoniaque lorsqu’il est rendu possible par des serviteurs zélés et sans scrupules. N’oubliez jamais que nous ne sommes pas que les témoins de l’Histoire, nous sommes aussi et surtout les artisans de notre avenir et de celui de nos enfants ou petits enfants. Nous le forgeons jour après jour et l’image du passé, aussi terrible soit-elle, doit être sans cesse présente à nos yeux, afin de nous permettre une vigilance de tous les instants. Lorsque les Nations ne répondent pas à cette obligation, il faut que leurs citoyens pallient à cette grave lacune. L’année 2016 qui se termine, a vu, dans le Monde, de nombreuses manifestations à caractère antisémite sans que les Pouvoirs Publics ne s’en émeuvent. A Paris, en janvier dernier, une manifestation antisémite s’est déroulée devant l’Opéra pour interdire le spectacle d’une compagnie israélienne. Pour les antisémites, comme pour les nazis, comme pour les islamo-fascistes, aucun juif n’est innocent. Quoiqu’il fasse, peut importe son engagement politique, ses positions intellectuelles, il est juif et cela suffit pour appeler à son élimination. La Suède, qui compte moins de 20000 Juifs, laisse l’antisémitisme ouvertement s’exprimer jusque dans les plus hautes sphères de son monde politique. L’Italie, l’Espagne, la Hongrie, l’Allemagne même sont touchées par ce fléau du nouvel antisémitisme. Sans parler de la Pologne où règne un antisémitisme sans Juifs ou de l’Autriche qui tente d’effacer tous les souvenirs du comportement de son peuple à l’époque nazie. Je n’énumérerai pas, pays après pays, les manifestations antisionistes (avatar pour antisémites), mais j’essaie simplement de vous alerter sur le terrain glissant où s’engagent nos sociétés. Il suffit de voir les décisions de l’ONU ou de l’UNESCO contre Israël pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène.
L’UNESCO, qui vient, il y a un mois de voter une résolution déniant à Jérusalem tout lien avec le judaïsme. Nul ne peut savoir jusqu’où iront ces décisions iniques entérinées par des Nations à genoux à la solde d’intérêts financiers, mais chacun peut se rendre compte, en venant à Birkenau, que le pire peut toujours être envisageable.
Les Peuples sont fragiles, leurs populations malléables et il est dangereux de jouer avec leurs pulsions les plus populistes. En cette fin de journée, alors que les brumes humides et froides tombent sur cette terre de désolation, ayez une pensée pour ceux qui périrent ici. Ils avaient des vies calmes ou mouvementées, étaient pauvres ou riches, jeunes ou vieux, puissants ou misérables, mais chacun s’est trouvé pris dans ce maelstrom sans aucune chance de survie.
Qu’avaient-ils fait pour être ainsi rayés du monde des vivants ? La réponse est cinglante…. .
Rien Ils étaient nés Juifs.
Sans doute certains jugeront mon intervention de cette année peu en rapport avec ce voyage de la mémoire, mais si la mémoire ne sert pas à préparer un meilleur avenir, à quoi servirait-elle ? Le qualificatif de lanceur d’alertes est très employé dans la période tourmentée que nous traversons, que n’ont été entendues les alertes lancées chaque année, à Lyon, à la cérémonie anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz et de Hte Silésie, par notre Président, Benjamin Orenstein. Qui se souvient des paroles prémonitoires qu’il prononçait lorsqu’ il disait à son auditoire « les victimes sont juives aujourd’hui mais qu’adviendra t-il de demain ?
Prenez conscience, Mesdames, Messieurs, Chers Amis, que demain c’est aujourd’hui.